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Affaire "Casse toi pov’ con" 2 - ou "Selon que vous serez puissant ou misérables..."

D 16 novembre 2009     H 10:41     A Sébastien Canévet     C 1 messages


"Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir."

Ce proverbe de la Fontaine [1] ne pouvait que venir à l’esprit lors du commentaire de cette décision.

On se souvient que nicolas sarkozy avait répondu "Casse toi, pov’ con" à un homme qui refusait de le saluer au salon de l’agriculture en 2008. Je m’étais à l’époque amusé à en étudier les conséquences juridiques et la possibilité (théorique) de poursuivre ce délinquant très particulier, à l’issue de son mandat électoral.

Quelques mois plus tard, à Laval le 28 aout 2008, Hervé Eon, un militant altermondialiste, brandissait une pancarte portant la même inscription lors du passage de la voiture présidentielle, en visite ce jour là en Mayenne.

Immobilisé par les services de police, l’homme était rapidement poursuivi pour injure au chef de l’Etat, une infraction prévue et réprimée par l’article 26 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, dont le premier alinéa dispose :

"L’offense au Président de la République par l’un des moyens énoncés dans l’article 23 est punie d’une amende de 45 000 euros."

Malgré la lourdeur de la peine encourue, le ministère public faisait preuve d’une certaine modération, en réclamant "seulement" une amende de 1000 euros. Le tribunal correctionnel devait en rajouter dans la clémence, en prononçant une amende de ..... 30 euros avec sursis en novembre 2008.

Ayant formé appel de cette décision, Hervé Eon a vu sa condamnation confirmée par la Cour d’appel d’Angers en mars 2009. Il s’est alors pouvu en cassation.

L’aide juridictionnelle avait été refusée à Monsieur Eon, qui est demandeur d’emploi, au motif que son pourvoi ne soulevait "aucun moyen de cassation sérieux". Il avait néanmoins maintenu son pourvoi, sans toutefois payer d’avocat pour soutenir sa demande.

Dans une décision rendue le 27 octobre, la chambre criminelle de la Cour de cassation a finalement refusé d’admettre le pourvoi.

 Les juges pouvaient-ils refuser de condamner ?

Quand il constate que les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis, un juge ne peut que condamner. En effet, dans un Etat de droit, le juge n’est pas libre de sa décision. Il doit appliquer la loi, quoi qu’il en pense. La seule solution pour éviter de condamner est, nous y reviendrons, de considérer que la loi française est en contradiction avec un engagement international de la France.

En l’espèce, je n’ai pas pu me procurer les décisions succèssives, ce qui rend tout commentaire un peu délicat, mais il semble que la cour d’appel ait souligné qu’il avait "préparé son acte" et "délibérément brandi son affichette au passage du cortège présidentiel le 28 août 2008".

L’infraction était donc bel et bien constituée.

Concernant le pourvoi en cassation, rappelons, si il en est besoin, que la cour de cassation n’est pas un troisième degré de juridiction. Son rôle est de juger non pas l’affaire mais le procès. D’après ce que je sais de l’affaire, Monsieur Eon n’a pas "soutenu" son pourvoi, car il n’a pas eu les moyens de s’offrir les services d’un avocat aux conseils [2]

 Une infraction désuète

Cette incrimination est critiquée depuis longtemps. Elle tient en effet beaucoup plus du crime de lèse majesté d’ancien régime, qui protégeait un roi thaumaturge, que d’une politique criminelle cohérente dans un Etat moderne.

C’est sans doute pourquoi elle n’était plus utilisée depuis les années ’70.

Ni Valéry Giscard d’Estaing, ni Mitterand ni Jacques Chirac n’en avaient fait usage [3]. Il semble que l’actuel occupant de l’Elysée, ignorant le passé de ce texte, et plus chatouilleux que ses illustres prédécesseurs, ait pourtant laissé cette poursuite prospérer.

Il est probable que c’est cette "réssurection intempestive" [4] d’un texte dépassé, et qui aurait du être abrogé, qui à conduit les juges à prononcer une décision de condamnation aussi minime, véritable camouflet judiciaire infligé à la partie poursuivante.

 Une infraction contraire à la Convention Européenne des droits de l’Homme ???

Ne confondant cependant pas courage et témérité, les différents juges succéssivement saisis de l’affaire ne se sont pas aventurés jusqu’à étudier la véritable question que pose cette poursuite : l’incompatibilité de cette incrimination avec la Convention Européenne des droits de l’homme.

Encore que l’on ne puisse pas être absolument catégorique, il est permis de supposer avec un degré de certitude raisonnable que cette infraction est effectivement contraire à ce texte international. C’est ainsi que les juges auraient pu refuser de condamner Hervé Eon,

Dans l’affaire Colombani et Autres contre France, la Cour EDH avait déjà jugé que :

- "La Cour constate de surcroît que l’application de la disposition relative au délit d’offense tend à conférer aux chefs d’Etat un statut exorbitant du droit commun qui ne saurait se concilier avec la pratique et les conceptions politiques d’aujourd’hui. Cette disposition a en effet pour conséquence de les soustraire à la critique seulement en raison de leur fonction ou statut, sans prise en compte de l’intérêt de celle-ci. Or selon la Cour, ce privilège dépasse ce qui est nécessaire pour atteindre un tel objectif.

- La Cour relève par conséquent que le délit d’offense tend à porter atteinte à la liberté d’expression sans répondre à un « besoin social impérieux » susceptible de justifier cette restriction, en raison du régime dérogatoire de la protection accordée par cette disposition de la loi sur la liberté de la presse. Elle considère qu’il n’existait pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les restrictions imposées à la liberté d’expression des requérants et l’objectif légitime poursuivi."

To be continued...


A LIRE :

Les textes d’Hervé Eon au sujet de cette affaire sur le site Rue89 :

- "Casse toi pov con au tribunal pour outrage au Président"

- "Casse toi pov con, pourquoi je saisis la justice euroépenne"

Illustration : Les animaux malades de la peste, gravure de Granville


[1Les animaux malades de de la peste, dont le texte se trouve par exemple sur wikisource

[2Même si il s’agit d’une "matière dispensée", le recours à un avocat aux conseils est préférable. Ceci écrit pour les "spécialistes" ;-)

[3De Gaulle l’avait souvent employé, enssentiellement pendant la guerre d’Algérie, et Pompidou une seule fois

[4Je ne parle pas techniquement ici, car la désuètude ne suffit pas à abroger la loi en droit français.

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