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La médiation nécessaire de Mme Desproges

D 14 février 2006     H 20:39     A Sébastien Canévet     C 0 messages


Article initialement paru dans la version électronique du magazine Transfert le 27 juin 2001

La médiation nécessaire de Mme Desproges

Depuis cinq mois, la veuve de l’humoriste joue les diplomates dans une banale affaire de droits d’auteur qui oppose les éditions du Seuil et une page perso consacrée à son mari. ...tonnant, non ?

« Ce sont des mômes, après tout... » À entendre Hélène Desproges, tous les créateurs de pages persos sur Internet sont des gamins. Quel que soit leur âge. Voilà sans doute pourquoi la femme de l’humoriste disparu en 1988, se retrouve aujourd’hui à jouer les médiatrices dans une banale affaire de droits d’auteur. Au début de l’année, un site dédié aux citations du maître de l’ironie vacharde et de l’absurde glacé a fini par irriter les éditions du Seuil, détentrices - entre autres - des droits des Chroniques de la haine ordinaire. Motif : un peu trop complet. L’éditeur somme l’hébergeur de couper l’accès. Celui-ci obtempère, brutalement, sans prévenir l’auteur du site. Très embarrassée, la veuve de Pierre Desproges souhaite éviter que l’affaire soit portée en justice, « pour une simple page perso ». Elle choisit d’entrer en contact avec l’intéressé pour lui exposer le problème, tout en déplorant les moyens employés. Mais un article du Monde, relatant l’histoire, la pousse à s’exprimer publiquement. Rédactrice jusque-là anonyme du « site officiel » desproges.fr, elle y publie une tribune pour expliquer comment se prémunir des foudres de l’éditeur : « Le droit de citation est évidemment possible pour tous les internautes, mais dans la limite légale de celui-ci », écrit-elle, en précisant qu’elle s’est adjoint les services d’un juriste pour répondre aux questions éventuelles des visiteurs.

Le Chêne et le Gland

La démarche tranche. Les ayant-droits sont souvent plus prompts à dégainer leurs avocats pour faire tinter le tiroir-caisse des dommages et intérêts. Mais, à 53 ans, Hélène Desproges n’est pas hermétique à l’esprit du Net. Un monde que celle qui se considère comme une « vieille dame » tout en portant jeans et baskets plates, a découvert par elle-même. Un peu par obligation. « Si je n’avais pas créé le site, les autres auraient fini par s’en charger », confie-t-elle. Sont visés le Seuil ou l’INA (Institut National de l’Audiovisuel), propriétaire des enregistrements sonores. Or, précise-t-elle, « Pierre tenait à ce que chaque organisme ne puisse exploiter les droits sur son œuvre que dans son propre secteur ». Fin 2000, elle a donc lancé elle-même desproges.fr, un site qui tente une approche thématique de la pensée de son mari en croisant écrits, spectacles et interviews. Elle a rejeté l’exhaustivité que lui conseillaient certains. « Il aurait fallu que je fasse rentrer la mezzanine dans l’ordinateur », s’exclame-elle en désignant la partie de son duplex du XIVe arrondissement parisien consacrée aux archives. Desproges conservait jusqu’à la moindre note. Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour qu’un « môme » sollicite la permission d’indexer ce site « officiel » sur sa page personnelle. Un annuaire de liens, qu’Hélène s’est amusée à suivre, découvrant lavache.com, un site consacré aux ruminants, très second degré. « Génial ! » Au hasard de ses visites, elle avoue avoir éprouvé le complexe de la débutante : « J’étais vachement impressionnée par ce qu’ils savaient faire », souffle-t-elle en expirant la fumée de sa cigarette. Un autre lien l’a conduite vers Le Chêne et le Gland, le site de Sébastien Canevet, professeur de droit à la fac de Poitiers. Elle écrit alors à « ce type qui sait expliquer aussi clairement et intelligemment le droit ». Médiateur, hostile à l’inflation des contentieux judiciaires et par ailleurs « desprogeolâtre », Canevet lui propose de l’aider à expliquer aux internautes les limites du droit de citation. Il la pousse aujourd’hui à mettre en accès libre quelques extraits de l’œuvre dont elle possède les droits.

« Veuves abusives »

Pendant dix ans, Hélène fut coproductrice des spectacles de Pierre Desproges. « J’étais un peu comme la femme de l’artisan, qui suit de près l’activité de son mari et s’occupe des factures. » Désormais, elle gère le catalogue pour le compte de ses filles, héritières des droits. Mais elle n’a pas toute latitude. « En fait, rappelle Sébastien Canevet, madame Desproges doit elle-même demander des autorisations lorsqu’elle veut mettre en ligne certains documents. » À l’éditeur, au producteur de ses disques ou encore aux stations de radio et chaînes de télévision où a sévi le prince de l’humour grinçant. En revanche, Hélène Desproges a le pouvoir moral de s’opposer à une utilisation de l’œuvre qu’elle jugerait déplacée. « Pierre ne voulait pas passer sur certains plateaux de télé. J’essaie de faire en sorte qu’on ne diffuse pas d’images de lui dans des émissions auxquelles il aurait refusé de participer », explique-t-elle. Et d’ajouter, à l’adresse de ceux qui pourraient lui reprocher d’intervenir sur l’exploitation posthume de son souvenir : « Les veuves sont toujours abusives, mais il faut bien que quelqu’un fasse valoir de temps en temps ce droit totalement subjectif. » La cigarette écrasée va rejoindre les autres mégots dans le long cendrier à pied. L’écran d’un ordinateur portable s’éclaire. Sa propriétaire découvre sur le Net une vieille version du site incriminé par Le Seuil, demeurée sur un serveur. Hélène s’arrête sur une citation : « Le juif-juif se sent plus juif que fourreur. » Elle précise, inquiète, de sa voix de fumeuse : « Pierre marchait sur des œufs, en jouant ce sketch, il avait très peur que ses propos soient mal interprétés. » Là encore, Hélène veille. Se rappelant qu’en 1995, le Front national avait tenté de récupérer un texte sur la jeunesse. Hérissée, elle avait attaqué. Et gagné.

Une guitare valise

Fidèle à l’œuvre de son mari, Hélène entend rester lucide. « Faut pas déconner, tout n’est pas bon », répète-t-elle. Comme certaines prestations purement « alimentaires », celles que Pierre a concédées « le chèque entre les yeux ». Pas d’idolâtrie chez elle. Pas de fétichisme non plus. Aucune photo de lui sur les murs. Cela ne l’empêche pas de conserver intact son amusement à évoquer la découverte de Pierre dans le Paris de 1968. La rencontre d’un Limousin et d’une Vendéenne, étudiante aux Beaux-Arts. « Il venait chez moi avec sa guitare qui lui servait en même temps de valise. Il enlevait les cordes, une à une, puis sortait ses chaussettes et ses livres de la caisse de l’instrument », dit-elle dans un sourire émerveillé. À l’époque, il ne faisait rien. Ils vivaient de pas grand-chose. Après ces débuts difficiles, Desproges n’a jamais caché son souci de voir ses talents justement rétribués. Hélène cite une Chronique de la haine ordinaire, publiée sur le site. L’humoriste y tournait en dérision un homme qui lui demandait de collaborer gratuitement à un livre sur le vin. « Je préfère nourrir ma famille que la vôtre », avait-il répondu en substance. Aujourd’hui, sa femme trouve gonflante l’idée selon laquelle « être artiste devrait se suffire à soi-même ». Et désapprouve la réaction d’amertume du fan attaqué par le Seuil, qui, dans un édito, s’en était pris aux « businessmen ». « Remettre en cause le droit d’auteur est simpliste, voire perfide », dit-elle sans nier sa position particulière d’ayant-droit. La productrice prend également la défense des maisons d’édition, « celles qui soutiennent aussi les petits ». Elle a d’ailleurs confié l’exploitation de certains disques du fonds Desproges au label des Têtes raides « parce que leur producteur sait prendre des risques ». Avant de lâcher, fatiguée par ce genre de débat : « Dans le fond, je m’en fous. » « Je m’inquiète surtout des contresens », rattrape-t-elle. Elle ne demande pas grand-chose : « Juste que l’on cite dans les limites autorisées ou que l’on me demande l’autorisation. Une question de courtoisie. » Elle s’arrête, la cigarette reste en l’air. « Mais c’est peut-être devenu un mot ringard ? »

Edgar Pansu

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