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Le Conseil d’Etat estime qu’un marché public portant sur la prestation de service associée à un logiciel libre est licite.

D 30 septembre 2011     H 15:57     A Sébastien Canévet     C 0 messages


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Conseil d’État

N° 350431
ECLI:FR:CESSR:2011:350431.20110930
Publié au recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
M. Frédéric Dieu, rapporteur
M. Bertrand Dacosta, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE ; ROUVIERE ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats

Lecture du vendredi 30 septembre 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juin 2011 et 12 juillet 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la REGION PICARDIE, représentée par le président du conseil régional ; la REGION PICARDIE demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance n° 1101511-1101514 du 9 juin 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif d’Amiens, statuant en application de l’article L. 551-1 du code de justice administrative sur les requêtes des sociétés Kosmos et Itop, a, d’une part, annulé la procédure de passation du marché de services ayant pour objet la mise en oeuvre, l’exploitation, la maintenance et l’hébergement d’une plateforme de service pour la solution " open source " d’espace numérique de travail (ENT) " Lilie " à destination des lycées de Picardie et, d’autre part, lui a enjoint, si elle entendait conclure ce marché, de reprendre intégralement la procédure ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande présentée par les sociétés Kosmos et Itop devant le tribunal administratif d’Amiens ;

3°) de mettre à la charge des sociétés Kosmos et Itop le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 septembre 2011, présentée pour la REGION PICARDIE ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Dieu, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la REGION PICARDIE, de Me Rouvière, avocat de la société Kosmos et de la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Itop,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la REGION PICARDIE, à Me Rouvière, avocat de la société Kosmos et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Itop ;

Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article L. 551-1 du code de justice administrative que le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il délègue peut être saisi, avant la conclusion d’un contrat de commande publique ou de délégation de service public, d’un manquement, par le pouvoir adjudicateur, à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ; qu’aux termes de l’article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations " ; qu’aux termes enfin de l’article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué, ainsi que le représentant de l’Etat dans le cas où le contrat doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local (...) " ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un avis d’appel public à la concurrence publié le 22 février 2011, la REGION PICARDIE a lancé une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de l’attribution d’un marché de services ayant pour objet " la mise en oeuvre, l’exploitation, la maintenance et l’hébergement d’une plateforme de service pour la solution " open source " d’espace numérique de travail (ENT) " Lilie " à destination des lycées de Picardie " ; que, par courriers des 21 et 23 mars 2011, les sociétés Kosmos et Itop, qui exercent une activité d’éditeur de logiciel d’espace numérique de travail, ont informé la REGION PICARDIE de leur intention de demander l’annulation de la procédure si la région ne se conformait pas à ses obligations de mise en concurrence, lesquelles faisaient selon elles obstacle à ce que l’appel d’offres lancé par la région imposât aux candidats le seul logiciel " Lilie " ; que la REGION PICARDIE, poursuivant la procédure, après avoir constaté que l’offre déposée par la société Atos Origin était irrégulière et que celle déposée par la société Logica, copropriétaire du logiciel " Lilie ", comportait des prix trop élevés ou incohérents, a cependant engagé des négociations avec ces deux sociétés en application des dispositions de l’article 35-I-1° du code des marchés publics ; que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif d’Amiens a annulé l’ensemble de la procédure et enjoint à la REGION PICARDIE, si elle entendait conclure le marché, de la reprendre dans son intégralité ;

Considérant qu’aux termes du IV de l’article 6 du code des marchés publics : " Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d’un mode ou procédé de fabrication particulier ou d’une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu’une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d’éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. Toutefois, une telle mention ou référence est possible si elle est justifiée par l’objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché n’est pas possible sans elle et à la condition qu’elle soit accompagnée des termes : " ou équivalent ". " ; que, s’agissant des marchés de services, il y a lieu, pour l’application de ces dispositions, d’examiner si la spécification technique en cause a ou non pour effet de favoriser ou d’éliminer certains opérateurs économiques puis, dans l’hypothèse seulement d’une telle atteinte à la concurrence, si cette spécification est justifiée par l’objet du marché ou, si tel n’est pas le cas, si une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché n’est pas possible sans elle ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que les prestations objet du marché de services litigieux consistaient en l’intégration et l’adaptation aux besoins de la REGION PICARDIE de la solution logicielle d’espace numérique de travail (ENT) " Lilie ", laquelle, eu égard à son caractère de logiciel libre, était librement et gratuitement accessible et modifiable par l’ensemble des entreprises spécialisées dans la réalisation d’espaces numériques de travail à destination des établissements d’enseignement qui étaient ainsi toutes à même de l’adapter aux besoins de la collectivité et de présenter une offre indiquant les modalités de cette adaptation ; que, par suite, en jugeant que la spécification par les documents de la consultation du logiciel libre " Lilie " avait pour effet d’éliminer le déploiement de toute autre solution logicielle, alors que le marché litigieux ne consistait pas en la fourniture d’un logiciel mais en des prestations d’adaptation, d’installation et de maintenance du logiciel " Lilie " que la REGION PICARDIE avait pu librement et gratuitement se procurer, le juge des référés du tribunal administratif d’Amiens a commis une erreur de droit ; qu’il a en outre dénaturé les pièces du dossier en estimant que la mention du logiciel " Lilie " conférait un avantage concurrentiel à la société Logica en sa qualité de co-concepteur et copropriétaire de ce logiciel, alors que toute entreprise spécialisée dans l’installation de logiciels supports d’espaces numériques de travail pour les établissements d’enseignement avait la capacité d’adapter ce logiciel aux besoins de la REGION PICARDIE ; que, dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, la REGION PICARDIE est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée ;

Considérant que dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre des procédures de référé engagées par les sociétés Itop et Kosmos ;

Considérant, en premier lieu, que les sociétés Itop et Kosmos, en leur qualité de sociétés spécialisées dans la mise en oeuvre de solutions numériques pour les établissements d’enseignement, ont vocation à exécuter les prestations de services objet du marché et justifient donc d’un intérêt à conclure le contrat ; que, par suite, elles sont recevables à agir par la voie du référé précontractuel à l’encontre de la procédure de passation litigieuse ;

Considérant, en second lieu, qu’eu égard à la nature de marché de services, et non de fournitures, du marché litigieux, les sociétés Itop et Kosmos ne sauraient utilement soutenir que la mention de la solution logicielle " Lilie " a eu pour effet de favoriser ou d’éliminer d’autres solutions logicielles ; qu’il résulte en outre de l’instruction que la mention du logiciel " Lilie ", en raison du caractère de logiciel libre que celui-ci présente et qui le rend librement et gratuitement modifiable et adaptable aux besoins de la collectivité par toute entreprise spécialisée dans l’installation de logiciels supports d’espaces numériques de travail, ne peut être regardée ni comme ayant pour effet de favoriser la société Logica qui a participé à sa conception et en est copropriétaire ni comme ayant pour effet d’éliminer des entreprises telles que les sociétés requérantes qui, tout en ayant entrepris de développer leurs propres solutions logicielles, sont spécialisées dans l’installation d’espaces numériques de travail à destination des établissements d’enseignement et disposent des compétences requises pour adapter le logiciel libre " Lilie " aux besoins de la REGION PICARDIE ; que, par suite, les sociétés Itop et Kosmos ne sont pas fondées à soutenir qu’en mentionnant comme spécification technique du marché le recours à ce seul logiciel libre, la REGION PICARDIE a méconnu les dispositions du IV de l’article 6 du code des marchés publics ; que, dès lors, les sociétés Itop et Kosmos ne sont pas fondées à demander l’annulation de la procédure de passation litigieuse ;

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la REGION PICARDIE, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demandent les sociétés Itop et Kosmos au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre une somme de 2 000 euros à la charge de chacune de ces sociétés au titre des frais exposés par la REGION PICARDIE, tant devant le Conseil d’Etat que le tribunal administratif d’Amiens ;

D E C I D E :


Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif d’Amiens du 9 juin 2011 est annulée.
Article 2 : Les demandes présentées par les sociétés Itop et Kosmos devant le tribunal administratif d’Amiens sont rejetées.
Article 3 : Les sociétés Itop et Kosmos verseront chacune une somme de 2 000 euros à la REGION PICARDIE en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par les sociétés Itop et Kosmos en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la REGION PICARDIE, à la société Kosmos et à la société Itop.

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