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De la légalité de l’analyse d’un logiciel à des fins de compatibilité et de la publication des informations obtenues

D 12 février 2007     H 20:50     A Sebastien Fourestier     C 0 messages


[English] [français]

La transposition récente de la loi DADVSI a rendu le cadre d’utilisation de la décompilation (ou « reverse engineering ») plus restreint. Cette note rappelle dans quelle mesure un logiciel peut légalement être étudié, quel sous-ensemble d’informations caractérisant un logiciel peut légalement être publié, et ce, notamment dans le cas où l’étude porte sur des mesures techniques de protection.

 1 En deux mots

Succinctement, à condition de :

- ne pas porter atteinte à l’exploitation normale du logiciel ;
- ne pas causer de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur ;
- ne pas porter atteinte à une mesure de protection ;

Il est légal :
- d’étudier un logiciel afin de comprendre les principes sous-jacents au moyen d’actions autorisés par l’utilisation normale du logiciel ;
- d’étudier un logiciel au moyen de la décompilation afin de rendre un logiciel réalisé de manière indépendante compatible ;
- de publier les spécifications nécessaires à l’interopérabilité entre deux logiciels indépendants ;

Il est toutefois illégal :
- de publier d’autres informations obtenues par décompilation sur un logiciel protégé par le droit d’auteur défini dans le CPI ;
- bien qu’il soit possible de partager les informations précédentes au sein de l’équipe de développement d’un logiciel, même dans le cas du modèle de développement des logiciels libres (on considère alors que l’équipe de développement est l’ensemble des personnes inscrites en tant que membres du projet).

 2 Délit de contrefaçon et droit d’exploitation

L’article L. 335-3 du CPI stipule, entre autres, que la violation de l’un des droits d’exploitation de l’auteur d’un logiciel définis à l’article L. 122-6 constitue un délit de contrefaçon. Les droits définis dans l’article L. 122-6 sont les suivants :

« le droit d’effectuer et d’autoriser :

1o La reproduction permanente ou provisoire d’un logiciel en tout ou partie par tout moyen et sous toute forme. Dans la mesure où le chargement, l’affichage, l’exécution, la transmission ou le stockage de ce logiciel nécessitent une reproduction, ces actes ne sont possibles qu’avec l’autorisation de l’auteur ;

2o La traduction, l’adaptation, l’arrangement ou toute autre modification d’un logiciel et la reproduction du logiciel en résultant ;

3o La mise sur le marché à titre onéreux ou gratuit, y compris la location, du ou des exemplaires d’un logiciel par tout procédé. Toutefois, la première vente d’un exemplaire d’un logiciel dans le territoire d’un Etat membre de la Communauté européenne ou d’un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen par l’auteur ou avec son consentement épuise le droit de mise sur le marché de cet exemplaire dans tous les Etats membres à l’exception du droit d’autoriser la location ultérieure d’un exemplaire. »

 3 Des exceptions au droit d’exploitation

Il existe plusieurs exceptions aux droit d’exploitation (cf section 2), celles-ci sont définies dans l’article L. 122-6-1 du CPI, transcrivant les articles 5 et 6 de la directive 91/250/CEE du 14 mai 1991 [1]. Les exceptions ne sont pas des droits, mais des tolérances de la loi, je cite Maître Eolas sur ce point [2] :

« J’en profite pour rappeler une fois de plus que ces articles ne prévoient que des exceptions au principe de la protection des droits des auteurs/interprètes : ces exceptions, au nombre desquelles se trouvent la fameuse copie privée ne sont pas des droits, mais des tolérances de la loi. Conséquences : les juges les interprètent strictement et le législateur peut revenir dessus. »

3.1 De la légalité de l’étude d’un logiciel

Le paragraphe III de l’article L. 122-6-1 du CPI constitue une exception au droit d’exploitation autorisant la personne ayant le droit d’utiliser le logiciel à l’étudier sans autorisation afin de comprendre les principes sous-jacents :

« III. La personne ayant le droit d’utiliser le logiciel peut sans l’autorisation de l’auteur observer, étudier ou tester le fonctionnement de ce logiciel afin de déterminer les idées et principes qui sont à la base de n’importe quel élément du logiciel lorsqu’elle effectue toute opération de chargement, d’affichage, d’exécution, de transmission ou de stockage du logiciel qu’elle est en droit d’effectuer. »

3.2 De la légalité de la décompilation

Le paragraphe IV de l’article L. 122-6-1 du CPI constitue une autre exception aux droit d’auteur, il autorise l’utilisation de la décompilation (terme français pour le « reverse engineering ») afin d’assurer l’interopérabilité entre deux logiciels. L’article précise le sens de « décompilation » au moyen des termes suivants : « La reproduction du code du logiciel ou la traduction de la forme de ce code ». L’utilisation de la décompilation doit respecter les points suivants :

« 1o Ces actes sont accomplis par la personne ayant le droit d’utiliser un exemplaire du logiciel ou pour son compte par une personne habilitée à cette fin ;

2o Les informations nécessaires à l’interopérabilité n’ont pas déjà été rendues facilement et rapidement accessibles aux personnes mentionnées au 1o ci-dessus ;

3o Et ces actes sont limités aux parties du logiciel d’origine nécessaires à cette interopérabilité.

Les informations ainsi obtenues ne peuvent être :

1o Ni utilisées à des fins autres que la réalisation de l’interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante ;

2o Ni communiquées à des tiers sauf si cela est nécessaire à l’interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante ;

3o Ni utilisées pour la mise au point, la production ou la commercialisation d’un logiciel dont l’expression est substantiellement similaire ou pour tout autre acte portant atteinte au droit d’auteur. »

L’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception à destination de l’auteur du logiciel que l’on souhaite décompiler lui demandant les informations nécessaires à la compatibilité avec son propre logiciel (réalisé de façon indépendante) permet de se prémunir, dans la plupart des cas, contre le point 2o.

3.3 De la nécessite de ne pas porter préjudice aux intérêts de l’auteur

Pour être légales, ces exceptions doivent passer le « test en trois étapes », jargon technocratique pour dire qu’une exception doit toujours remplir deux (et non trois. . .) conditions cumulatives négatives [2] :

1. ne pas porter atteinte à l’exploitation normale du logiciel ;
2. ne pas causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. [3, V]

L’application stricte de ce test permet dans bon nombre de situations de rendre caduque les précédentes exceptions [4]. De fait, il est indispensable de respecter largement ces deux points lors de l’utilisation des précédentes exceptions.

 4 De la publication des informations obtenues

4.1 Grâce à la décompilation du logiciel

La publication des informations obtenues grâce à la décompilation est réglementé [3] :

« [...] Les informations ainsi obtenues ne peuvent être :

1o Ni utilisées à des fins autres que la réalisation de l’interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante ;

2o Ni communiquées à des tiers sauf si cela est nécessaire à l’interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante ;

3o Ni utilisées pour la mise au point, la production ou la commercialisation d’un logiciel dont l’expression est substantiellement similaire ou pour tout autre acte portant atteinte au droit d’auteur. »

L’expression

« sauf si cela est nécessaire à l’interopérabilité »

n’autorise pas la publication des informations obtenues par décompilation nécessaires aux processus de réalisation de l’interopérabilité du logiciel (ceci incluant toute les informations préparatoires à la réalisation du logiciel), mais uniquement les informations nécessaires à l’interopérabilité du logiciel (ie les spécifications) qui permettront au logiciel une fois terminé d’être interopérable).

4.2 Grâce à l’étude du logiciel

Suivant le principe « lex specialia generalibus derogante »(la loi spéciale déroge à la règle générale), l’article 122-6-1 énumérant dans le cas particulier des logiciels des exceptions au droit d’auteur déroge les exceptions plus générales appliqués aux oeuvres de l’esprit. Ainsi, contrairement aux autres oeuvres de l’esprit, les logiciels ne jouissent pas de l’exception autorisant, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source, les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées [5].

4.3 Les mesures technique de protections

D’autres limitations à la publication des informations obtenues par l’étude d’un logiciel sont apparues dans le CPI lors de la transposition de la directive européene 2001/29/CE (communément appelée la loi DADVSI) le 1 août 2006.

L’article L331-5 du CPI, définie les MTPs (Mesures Techniques de Protections) aussi appelées DRM en anglais (Digital Rights Management) ayant pour objectif de contrôler l’utilisation qui est faite des oeuvres numériques.

« Les mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou à limiter les utilisations non autorisées par les titulaires d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin du droit d’auteur d’une oeuvre, autre qu’un logiciel, d’une interprétation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme sont protégées dans les conditions prévues au présent titre.

On entend par mesure technique au sens du premier alinéa toute technologie, dispositif, composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, accomplit la fonction prévue par cet alinéa. Ces mesures techniques sont réputées efficaces lorsqu’une utilisation visée au même alinéa est contrôlée par les titulaires de droits grâce à l’application d’un code d’accès, d’un procédé de protection tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l’objet de la protection ou d’un mécanisme de contrôle de la copie qui atteint cet objectif de protection.

Un protocole, un format, une méthode de cryptage, de brouillage ou de transformation ne constitue pas en tant que tel une mesure technique au sens du présent article.

[...] »

La décompilation d’une mesure technique de protection échappe en principe à la prohibition des actes de contournement. Ce n’est pas le cas pour un logiciel libre où la publication du code source de ce dernier constitue une atteinte aux intérêts de l’auteur et invalide le test en trois étapes nécessaire à l’utilisation légale de l’exception de décompilation.

« [...]

Les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d’empêcher la mise en oeuvre effective de l’interopérabilité, dans le respect du droit d’auteur. Les fournisseurs de mesures techniques donnent l’accès aux informations essentielles à l’interopérabilité dans les conditions définies aux articles L. 331-6 et L. 331-7.

[...] »

4.4 Sanctions en cas d’atteinte à une mesure technique de protection

Avec DADVSI, quatre nouveaux articles définissent de nouveaux délits applicables lors de l’atteinte à une mesures techniques de protection [6, 7, 8, 9].

Est puni de six mois d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende, la fourniture de moyens pour contourner ou neutraliser des Mesures Techniques de Protection (essentiellement la mise en ligne de logiciels conçus à cette fin).

Ce délit est décliné pour l’atteinte au droit d’auteur [7], au droit voisin [9] et pour l’atteinte à l’individualisation des fichiers [6, 8]. Outre les peines principales évoquées ci-dessus, le tribunal pourra prononcer une peine de fermeture d’établissement pour 5 ans au plus.

Ces délits connaissent une exception s’ils sont commis à des fins de sécurité informatique.

En outre, ils doivent être commit sciemment, l’utilisation de cet adverbe est importante, pour que les délits des suivants articles soient constituées, il faut que la diffusion du composant soit faite non seulement volontairement, comme pour tout délit, mais aussi en toute connaissance de cause de l’usage illicite qui en sera fait. En droit pénal, on parle de dol spécial [2].

 5 Glossaire

Droit d’auteur

Le droit d’auteur correspond au droit dont jouit l’auteur d’une oeuvre de l’esprit. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral (le droit moral) ainsi que des attributs d’ordre patrimonial (le droit patrimonial). [10]

Droit moral

Le droit moral est un droit incessible, il comprend le droit au respect de son oeuvre et l’esprit dans lequel elle a été créée. [11, 2]

Droit patrimonial

Le droit patrimonial ou droit d’exploitation correspond au droit de représentation et au droit de reproduction.
- Le droit de reproduction comprend la possibilité que l’auteur a d’autoriser la copie de tout ou d’une partie de son oeuvre et de fixer les modalités de cette dernière ;
- Le droit de représentation permet à l’auteur de donner son autorisation à la représentation ou à l’exécution publique de son oeuvre. Le caractère public est particulièrement important.

Un critère simple permet de distinguer le droit de représentation du droit de reproduction : la maîtrise du support. Lorsque le destinataire de l’exploitation a la maîtrise du support, on parle de reproduction. Dans le cas contraire, on parle de représentation. [12, 13, 14, 15]

Exception

On appelle exception au droit d’auteur, une situation précise dans laquelle l’exercice d’un des droits exclusifs attribué au titulaire du droit d’auteur, sans son autorisation, ne constitue pas une violation du droit d’auteur. [16]

Incessible

Cet terme désigne en jurisprudence ce qui ne peut être cédé. Contrairement au droit patrinomial, pouvant être cédé par contrat d’édition notamment, le droit moral est incessible. [17]

Interopérabilité

Le terme interopérabilité, ou le terme français correspondant : la compatibilité, bien que présent dans plusieurs articles du CPI n’est pas définie par la loi. Il paraît toutefois, cohérent de se reporter sur la définition proposée dans la directive 91/250/CEE, en effet, l’article L. 122-6-1 du CPI, qui contient plusieurs occurrences de ce terme constitue la transposition quasi identique aux articles 5 et 6 de cette directive. Cette définition est la suivante [1] :

« cette interopérabilité peut être définie comme étant la capacité d’échanger des informations et d’utiliser mutuellement les informations échangées »

Oeuvre de l’esprit

Sont considérés notamment comme oeuvres de l’esprit en droit français :

1.Les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques ;

2.Les conférences, allocutions, sermons, plaidoiries et autres oeuvres de même nature ;

3.Les oeuvres dramatiques ou dramatico-musicales ;

4.Les oeuvres chorégraphiques, les numéros et tours de cirque, les pantomimes, dont la mise en oeuvre est fixée par écrit ou autrement ;

5.Les compositions musicales avec ou sans paroles ;

6.Les oeuvres cinématographiques et autres oeuvres consistant dans des séquences animées d’images, sonorisées ou non, dénommées ensemble oeuvres audiovisuelles ;

7.Les oeuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ;

8.Les oeuvres graphiques et typographiques ;

9.Les oeuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie ;

10.Les oeuvres des arts appliqués ;

11.Les illustrations, les cartes géographiques ;

12.Les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture et aux sciences ;

13.Les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire ;

14.Les créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure. Sont réputées industries saisonnières de l’habillement et de la parure les industries qui, en raison des exigences de la mode, renouvellent fréquemment la forme de leurs produits, et notamment la couture, la fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaussure, la ganterie, la maroquinerie, la fabrique de tissus de haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture, les productions des paruriers et des bottiers et les fabriques de tissus d’ameublement. [18]

Propriété intellectuelle

« La propriété intellectuelle se distingue de celle, matérielle, du support de l’oeuvre. Quand vous achetez un disque, vous ne devenez pas propriétaire de l’oeuvre. Vous avez un droit d’écoute illimité en nombre, dans un cadre privé uniquement, tant que la technique vous permet de l’écouter. Vous avez dans votre grenier des centaines de disques vinyles ? Le jour où les platines disparaîtront, vous n’aurez pas pour autant le droit de vous procurer gratuitement et par tout moyen une copie de ces oeuvres techniquement écoutables. Il vous faudra racheter une copie licite de l’oeuvre. »

[19, 2]

 Références

[1] Directive 91/250/CEE. http://www.celog.fr/cpi/D91_250.htm.

[2] Eolas. La loi DADVSI commentée. http://maitre.eolas.free.fr/journal/index.php ?2006/08/07/411-la-loi-dadvsi-commentee.

[3] Code de la propriété intellectuelle, Article L. 122-6-1.

[4] Valérie-Laure Benabou. Les dangers de l’application judiciaire du triple test à la copie privée. http://www.juriscom.net/documents/da20060420.pdf.

[5] Code de la propriété intellectuelle, Article L. 122-5.

[6] Code de la propriété intellectuelle, Article L. 335-3-1.

[7] Code de la propriété intellectuelle, Article L. 335-3-2.

[8] Code de la propriété intellectuelle, Article L. 335-4-1.

[9] Code de la propriété intellectuelle, Article L. 335-4-2.

[10] Code de la propriété intellectuelle, Article L. 111-1.

[11] Code de la propriété intellectuelle, Article L. 121-1.

[12] Code de la propriété intellectuelle, Article L. 122-1.

[13] Code de la propriété intellectuelle, Article L. 122-2.

[14] Code de la propriété intellectuelle, Article L. 122-3.

[15] Wikipedia. Le droit partrimonial. http://fr.wikipedia.org/wiki/ Droit_d’auteur#Le_droit_patrimonial.

[16] Marc Baribeau et Jacques Laurendeau. Les exceptions à la Loi sur le droit d’auteur (L.R.C., c. C-42) concernant les établissements d’enseignement. http://www.meq. gouv.qc.ca/drd/aut/except.html.

[17] Wiktionnaire. incessible. http://fr.wiktionary.org/wiki/incessible.

[18] Code de la propriété intellectuelle, Article L. 112-2.

[19] Code de la propriété intellectuelle, Article L. 111-3.
Documents joints

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